Les deux personnages principaux, assis au sol d’une bibliothèque, entre les étagères de livres, partagent un moment de concentration tandis qu’ils écrivent chacun de leur côté.

Au cœur de la tempête - Men, women and children

Ça parle de la solitude, du désir, de l’addiction, de la communication, de la bienséance ou plutôt des codes de la société, du comportement de masse et admis en regard de l’individuel, du panurgisme, du sentiment d’exclusion, de la popularité, de l’envie d’être vu et aimé, et à travers tout ça d’un couple qui se forme envers et contre tout, avec simplicité et lenteur, dans un monde de faux-semblants, d’instantané et de distance(s). Deux personnages qui s’approchent tandis qu’une société se disloque en même temps qu’elle se connecte ou s’interconnecte. Comme dans un mouvement de plaques tectoniques qui change la surface et qui demande à l’interpréter différemment alors qu’au fond rien n’a changé.
D’ailleurs, il ne s’agit pas de juger cette dislocation, il s’agit de la refléter, de la contempler et d’y saisir en contraste ce qui fait encore et vraiment du bien.

Reitman met tout ça dans de (parfois vraiment) belles images et sur une musique presque continuelle et qui donne corps au chœur, aux piètres cœurs enchevêtrés, aux misérables, pères, mères ou adolescents, qui se font passer d’abord, qui ne pensent pas mais qui estiment valoir davantage, qui jugent et jaugent sans fondement.

L’ensemble des personnages du film, dessinés, amalgamés, tous usant du magique accessoire et parmi eux, un duo, central et aux couleurs plus vives, qui s’enlace.

L’affiche du film est parfaite : elle est colorée et trop riche et dense parce qu’elle reflète la multiplicité ; en la regardant de loin, je n’avais jamais remarqué avant de voir le film ce couple au centre, qui ne tient plus l’écran dans la paume de sa main, mais l’autre. Ils se tiennent l’un l’autre. Les deux personnages clés, ce sont eux : la fille qui subit l’obscurantisme et le flicage et qui doit faire avec, ne sachant bien se situer face à eux, parce qu’on les lui infligerait pour son bien, et ce garçon perdu parce qu’abandonné et qui remet tout en question. Jusqu’à lui-même, jusqu’à son comportement, jusqu’à la facilité de faire ce qu’on attend de nous. Si bien qu’il commence à faire ce qui lui semble juste au fond, ce que ses envies traduisent de ses besoins, d’intimité, de contact, de chaleur, de véracité. Men, Women & Children, s’il l’aborde par un nouveau point de vue, est encore une romance et les romances de Reitman me touchent.

La seule leçon que donne ce film, par l’intermédiaire de ce couple (et certaines réactions d’autres personnages), c’est que la vie suit son cours et qu’elle trouve son chemin quelles que soient les oppositions, absurdes ou logiques. La vie, l’humain, se donne ou s’abandonne, il vit ou meurt mais essaye de jouir, et s’il n’en a pas ou plus la force, c’est probablement qu’il doit changer quelque chose. Le film se situe à ces tournants, à ces moments de vies cumulées qui demandent de choisir.

Ma lecture personnelle ajoute encore ceci à tout cela : la pire des sanctions, c’est l’oubli, c’est l’anonymat, c’est l’absence, c’est le rien vis-à-vis de l’autre et qui donne l’impression de n’être rien soi-même. Peut-être que le pire des parents, outre celui qui inflige physiquement, est celui qu’on sait mais qui n’est pas là. Et je me demande si, effectivement, ce n’est pas ce presque pire des parents qui autorise le meilleur à l’âge adulte. À savoir ces hommes et ces femmes grandis qui auront dû se comprendre par eux-mêmes, se positionner non pas tant face à quelqu’un d’autre et parmi les repères, mais entre le plein dedans du moi criant (qu’il veut sa place) et le vide tout autour (qui ne lui en donnera jamais vraiment une). C’est inéluctable et constatable à une autre échelle, je l’accepte : nous ne sommes que des particules insignifiantes sur un grain de poussière dans un cosmos ou un chaos infini. Pas pour autant qu’il faudrait ne rien faire ou que rien n’a de sens. Seulement qu’il faut remettre les choses à leur place et ne pas cesser d’évaluer.

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Un conseil pour finir : ne regardez pas la bande-annonce si ce n’est pas déjà fait. Je l’ai découverte après le film pour me replonger un moment dans sa bande originale et je ne l’aurais clairement pas regardé et découvert de la même façon si j’avais eu ces indices sur son développement. Men, Women & Children est aussi subtil qu’il grossit le trait, et en montrant ces passages clés, la bande-annonce éloigne le spectateur de cette subtilité en l’installant dans une zone de confort (parce qu’il recompose par avance, presque inconsciemment, certains événements). C’est vrai pour toutes les bandes-annonces et en un mot, je déteste ce procédé, elles devraient être des très courts métrages qui complètent le long, pas des synthèses de celui-ci. Si j’avais su par avance qu’un des événements clés que j’attendais se produirait, je n’aurais pas pris autant de plaisir à le voir se dérouler effectivement.