Des rencontres et de la bienveillance, ou le long cheminement d’un auteur libre et geek

Cela fait plusieurs années que je sais des rassemblements de libristes ici et là en France. Je n’avais jamais pu m’y rendre, par manque de temps, ou plutôt faute d’y attribuer le temps et les moyens nécessaires. Cette saison, c’est différent, et la semaine dernière, je suis donc allé à Lyon pour les Journées du Logiciel Libre.

Ecologeek : pour une terre communautaire, Journées du Logiciel Libre de Lyon, édition 2019

Les Journées du Logiciel Libre de Lyon, édition 2019

Notez que, pour ce faire, je me suis procuré un billet « OuiGo » à travers le site de la SNCF, et que j’ai réservé une chambre chez l’habitant par l’intermédiaire d’AirBNB. Dans les deux cas, j’ai « pris sur moi ». L’un et l’autre demandent à tout savoir sur l’utilisateur : nom et prénom, date de naissance, adresse, numéro de téléphone, carte de crédit évidemment… Je les hais pour ça. D’autant que, s’il existe certainement des alternatives dans le second cas, il n’y en a pas dans le premier sauf à prendre un billet à un autre tarif au guichet. Bref, j’ai vendu « mes données » et me suis fait profiler pour aller à la rencontre de ceux qui se battent, comme moi à mon échelle, contre ça. Un compromis de plus (car j’aurais pu y aller en stop – mais n’est-ce pas pire en voiture, même partagée ? – ou même en vélo ou à pied après tout).

Il n’empêche, côtoyer des pairs fait du bien. Ma pratique de l’écriture (j’y viens) s’insère dans des usages technologiques dont il est notamment question sur ce blog. Je ne peux, là où j’habite et dans le cadre de mes connaissances, échanger avec personne sur le sujet. Les écrivains ne sont pas légion, même si nous sommes nombreux à écrire, les libristes sont une minorité, même si le mouvement et sa philosophie s’étendent heureusement, et ceux qui écrivent « une culture libre » sont carrément rares.

Lyon, bords de Saône, le matin, 05 avril 2019, CC BY Terhemis

Outre la ville que j’ai pris grand plaisir à arpenter longuement la veille, le lieu de cette rencontre était en lui-même fort intéressant et accueillant : la « salle des Rancy », Maison pour tous, tout à la fois repère associatif et équipement municipal. Salles de danse au parquet que j’aurais volontiers essayé (je ne fais pas qu’écrire, et j’aime le rock ; ), salles dédiées à la musique, salles informatiques, salle de projection, petite bibliothèque partagée, « salon », et un gymnase ! Voilà qui a titillé, en soi, mes envies de réunion et d’échange, qu’il n’est pas partout facile d’assouvir étant donné le prix du foncier.

Conférences, ateliers, et stands dans le gymnase transformé en forum, pendant deux jours et en entrée libre, voilà ce que sont les JdLL, une occasion en or pour apprendre, essayer, discuter, et sur des sujets tous plus passionnants les uns que les autres. Bon, comme j’essaye de suivre un cap, je me suis focalisé sur ce qui concernait l’écriture et la publication, et il y avait de quoi faire. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à rédiger cet article : transmettre à ceux qui n’ont pas profité de tout ça quelques-unes des informations glanées.

Une histoire dont vous êtes le héros

Découverte de The Temple of No, histoire interactive avec images et son (en anglais)
https://youtu.be/watch?v=qGtP4YTTK_U

Le premier atelier auquel j’ai participé consistait en la prise en main de Twine, un outil logiciel que j’ai découvert sur place avec un certain bonheur. Il s’agit d’une sorte d’éditeur de texte pensé pour la fabrication d’histoires à embranchements. On peut visualiser ladite histoire à l’aide de cartes reliées les unes aux autres par des flèches, et entrer dans ces cartes pour rédiger, lier, et étendre davantage, avec à la clé une histoire interactive, « à choix multiples », qui peut-être être contenue ensuite dans un simple fichier HTML aisément présentable sur internet.

Initiation à Twine (en anglais)
https://youtu.be/watch?v=iKFZhIHD7Xk

Il y avait des enfants, dont certains ont démontré pouvoir utiliser l’outil malgré la syntaxe particulière permettant de mettre en œuvre les liens et d’éventuelles conditions, et des grands, comme moi et comme « Lolo », qui dans le cadre des CEMÉA (éducation « active », « nouvelle » ou « populaire »), mène des ateliers d’initiation, ce qu’il m’arrive de faire aussi et qui est au moins aussi enrichissant pour l’adulte que pour l’enfant.

Ce n’entre pas dans mes projets sur le court terme, mais l’envie d’écrire des histoires interactives a forcément germé. Je compte sonder les gens de l’atelier d’écriture de ma ville pour savoir ce qu’on pourrait produire ensemble. Et j’encourage chacun à découvrir ce logiciel libre utilisable sur Windows, MacOS et GNU/Linux, ainsi que sur internet directement.

Visualisation des segments et interconnexions d'une intrigue dans Twine

Le livre et ses pages dans une seule fenêtre du web

Autant je n’ai pas pu tirer grand-chose de la courte présentation (orientée usage en université) de LibreOffice par M. Stoher, ni de la prise en main (malheureusement trop courte elle aussi) de Manuskript animée par Vincent Mabillot, autant la présentation de Paged.js m’a bluffé. Je ressentais monter en moi une gratitude pour ces personnes défrichant des sentiers techniques et mettant à disposition le fruit de leurs précieux travaux.

Mettre en page un livre imprimable à travers le CSS, avec les automatismes et la simplicité que ça suppose (même si CSS peut se transformer en calvaire à l’occasion), ça fait un peu rêver, en vrai, surtout pour l’auteur de fiction que je suis et qui n’a pas besoin de notes de bas de pages, un des éléments de mise en page résistant encore aux avancées sur ces fronts standardisés que sont HTML et CSS.

Travail sur les pages à partir d'une page web grâce à Paged.js

Marges, taille des marges, positionnements d’informations dans ces marges, informations générées à la volée (numéro de page, titre de la section), gestion des belles pages et des sauts de page, et même une présentation différenciée selon les types de pages (les premières et les dernières ne participant pas du flux du texte), semblent, eux et entre autres, d’ores et déjà opérationnels.

Le « page area model » du W3C

Je n’ai pas encore mis les mains dans le cambouis pour vérifier tout ça (et je ne m’en sors déjà pas trop mal avec Writer), mais il ne fait aucun doute que c’est la bonne démarche, dans la continuité de la publication web et epub. Une continuité, ou un retour aux sources de l’objet qu’est le livre de bois mort, devenu, pour bien des producteurs de savoirs et de fiction, un média parmi d’autres, presque marginal face à l’ogre internet et aux démons écrans.

Le clavier et la console

Un certain Fabien Cazenave a par ailleurs animé un TupperVim samedi soir, et présenté ses recherches et savoirs concernant le clavier et l’ergonomie le dimanche. Le sieur a travaillé pour TypeMatrix a une époque et s’était investi dans Bépo (auquel je m’étais initié l’année dernière), qui vient d’être normé, officialisé, par l’AFNOR. Si la plupart de ces mots à majuscules forment un gibberish teinté de charabia plus ou moins gouleyant à vos oreilles, vous vous sentez comme moi samedi lorsqu’ils parlaient de Vim.

Qu'est-ce que Vim et pourquoi s'y mettre ?
https://youtu.be/watch?v=CM7UP-un1vc&hl

Vim est un éditeur de texte très particulier, s’utilisant normalement dans le « terminal » (ou la « console système » en français ?), cet autre outil que la majorité des utilisateurs de Windows ne connaissent pas. Vim mériterait plusieurs articles à lui seul, mais disons qu’il est à la fois extrêmement personnalisable et qu’il permet éventuellement de gagner beaucoup de temps, notamment en s’évitant des manipulations à la souris. La courbe d’apprentissage est cela dit colossale, et la chose dans son ensemble peu avenante, encore que certainement ludique à l’usage. Contrairement aux rencontres Tupperware dont est inspiré le nom de ces rencontres informatiques, il n’y avait d’ailleurs pas une seule fille dans la salle. (En vrai, il y en avait deux, mais la première est partie peu de temps après le début, et la seconde est la seule à n’avoir pas parlé…).

Au moins, vous saurez désormais sortir du logiciel… :q
https://youtu.be/watch?v=ggSyF1SVFr4&hl

J’avais déjà abordé le logiciel, sans m’y attarder, et je dois dire que malgré les dizaines d’astuces échangées ce soir-là, pas une n’aurait pu s’appliquer à mon flux de travail et à mes besoins. Il m’aurait suffi de sonder la salle, mais à vue de nez, je dirais qu’il n’y avait là que des développeurs-codeurs, ou quasiment.

J’ai un peu les mêmes sensations concernant la disposition des touches sur le clavier, qui occupaient une bonne partie de la présentation du lendemain. C’est à la fois un sujet passionnant (eh oui), et quelque chose de secondaire au regard de ce qu’on fait effectivement avec. « Des heures de jeu » à optimiser ses outils, sans lesquels bien des chefs d’œuvre ont été écrits. Inversement, tout ce temps passé à étudier ce qui se fait, trouver, essayer, s’emparer des outils, n’est pas passé à écrire.

le Bépo complet : remarquez les espaces insécables, les points de suspension, les guillemets français

Il s’agit de faire avec ce qui nous convient personnellement. C’est d’ailleurs un des seuls points négatifs que je vois à ces rencontres en leur état actuel. La plupart des participants sont bienveillants et ont l’esprit ouvert, mais il est aussi des spécialistes qui ont tendance à ne pas comprendre qu’on ne fasse pas comme eux… Je n’ai personne à blâmer en particulier (et puis, ce serait malvenu), c’est plus quelque chose de l’ordre du ressenti. Quelque chose de secondaire et dont je n’ai pas pâti.

Des humains avant tout et derrière tout ça

J’ai aussi pu parler longuement avec les bénévoles de La Mouette, qui promeuvent une bureautique libre et l’usage de LibreOffice, à qui je voulais donner mon livre (rédigé et préparé intégralement dans Writer donc) et qui me l’ont acheté. Encore merci. J’ai pu échanger quelques mots avec Yann Kervan, un brin sollicité chez Framasoft, remercier Fla, l’administrateur de Framasphère Diaspora-Fr, réseau à travers lequel je m’informe et j’échange depuis plusieurs années maintenant, discuter aussi avec des gens très intéressants, que je ne reverrai peut-être jamais et dont je n’ai même pas le nom pour certains. Merci à ce bénévole de l’April, merci à Fabrice et Alizée pour leur accueil.

Demos Kratos et Cemil choses à te dire discutent avec Fabrice Gagnant du Référendum d'Initiative Citoyenne, de ses failles en l'état actuel, et de ce qui peut être mis en place pour l'améliorer.
Passionnant !
https://youtu.be/watch?v=Aj061Tq0_tc

J’ai appris une fois rentré chez moi qu’Antoine Fauchié, dont je suis partiellement les pérégrinations et surtout les flux depuis environ deux ans, était aussi sur place. J’aurais diablement aimé me poser avec lui et d’autres, au calme, pendant des heures pour converser et débattre sur tous ces sujets ! Ce n’est que partie remise, j’espère.

Bref, j’ai côtoyé et rencontré des gens formidables, qui tous, ont accompli bien davantage que moi. Et c’est très stimulant de se confronter à cette réalité. Il ne me reste donc plus qu’à progresser… et à dresser la liste des autres événements du même genre…

Merci infiniment aux organisateurs de ces JdLL ainsi qu’aux bénévoles !

La suite aux prochains épisodes !

D’autres retours sur ces mêmes journées :