Image abstraite, d’un mouvement doré sur fond sombre tirant vers le bleu. Le mouvement comme le fond sont composés de traits ou de courbes, lumineuses lorsque dorées, qui s’entremêlent inexplicablement, d’où la notion de continuité. Cette image, difficile à décrire, est étrangement belle, elle m’apaise ou m’hypnotise.

Figer une pensée en développement

Table des matières

Photographie d’illustration principale : Event Horizon, par Robert Couse-Baker, sous Creative Commons BY 2.0

Continuité

Déjà décembre. Derniers mois passés fissa. La tête dans le guidon éditorial et productif.
Relire, améliorer, organiser, rendre accessible, écrire, recommencer.

Décembre encore, dans ce premier trimestre qui s’achèvera ensuite, d’écriture en semaines libres et presque à plein temps.
Pas d’éditorial en octobre ni en novembre pourtant. Je n’ai pas pris le temps alors de signaler mon activité, de communiquer sur elle.

Cette fois, je m’y colle.

Cinq jours sur sept pour m’essayer à l’écriture, pour me concentrer, pour développer, pour mettre de l’ordre dans mes idées et en coucher de nouvelles sur le papier. C’est parfait. Sauf que je me submerge en m’immergeant et que je ne réussis que rarement à faire de la publication une respiration.
Or, cette catégorie des éditoriaux est prévue pour me permettre de faire le point sur le site plutôt que sur mon activité d’écriture. Pourtant, d’elle dépend le site.
En vérité, depuis peu, je ressens le besoin de partager non plus seulement le fruit de mon travail, mais aussi son élaboration.

Jour après jour

Car ce que je publie n’est qu’une infime partie de ma production globale. Le reste m’occupe chaque jour. Cette partie cachée de l’iceberg, je ne cesse de la reformuler, de l’étendre et du coup, de chercher de meilleurs moyens pour me la mettre en tête et dans l’œil. Cette masse que j’oublie ou dépasse donc malgré moi, me sert – ou devrait me servir – de base de travail. Elle concrétise ma progression et me permet notamment de considérer mon activité comme saine et viable – ce que l’exercice du site ne permet pas encore, et qui n’a quoi qu’il en soit rien d’évident pour mon entourage, par ailleurs patient, voire (aveuglément) confiant.

Souvent, pourtant, cette quantité m’effraie ou me repousse, et malheureusement, personne d’autre que moi ne sait rien ni de l’existence de cette somme (et donc de son éventuelle qualité) ni de ce combat quotidien que je mène avec elle et pour ne pas en faire un ennemi. Le genre d’ennemi qu’on est tenté de dissiper d’une simple suppression informatique. Vous savez, cet acte salvateur parce qu’irrémédiable, qui consiste à effacer d’un clic tout un pan d’une existence numérique dans laquelle on s’était investi : un réseau social devenu envahissant, voire prépondérant, un blog, des photos qui rappellent trop de choses, des fichiers trop encombrants…

Je ne me vois pas considérer, ne serait-ce qu’un jour dans le futur, mon activité d’écriture comme une marotte appartenant au passé et dont il faudrait que je me déleste, mais nombre de mes textes appartiennent, eux, bel et bien à ce passé et devraient y rester, quand je souhaite encore, au fond de moi, en tirer quelque chose et si possible le meilleur. C’est par exemple du côté de cette ambivalence que je lutte : certains écrits méritent d’être ressuscités et présentés, d’autres ne sont plus, au mieux, qu’un outil pour me souvenir.

Il faudra se décider.

Labeur

Je tirerais probablement 2 bénéfices au moins à communiquer sur cette démarche, sur ce labeur : j’impliquerais ce lecteur – qui reste potentiel et sur lequel je mise de moins en moins, certes – et j’obtiendrais, peut-être, des retours et des conseils en rapport à mes questionnements.

Pourquoi hésiter alors ?

Eh bien, je ne sais pas comment en parler. Je ne suis même pas sûr d’être capable de concrétiser et synthétiser, ne serait-ce qu’à l’occasion, ce cheminement quotidien.
C’est-à-dire que j’envisage ce support qu’est terhemis.fr comme celui de la publication de mes trouvailles ou de mes réussites, des écrits qui, même s’ils ne mettent pas le doigt sur une réponse ultime ou définitive, me donnent l’impression d’avancer. Comment alors, et où, ou plutôt par quelle perspective, dévoiler ce qui est de l’ordre du piétinement et qui a parfois tout autant d’importance ?

Systématiquement, tandis que je quitte épuisé l’éventuelle prise de recul que j’ai tenté d’opérer, je me dis que j’aimerais être capable de la faire savoir, mais ne m’en sens plus la force.
Je ne suis pas assez clair.
Disons que ces recherches que je mène, sur tous les fronts que je peux rencontrer, m’emmènent vers plus de questions et nécessitent de chercher davantage et encore, si bien que je trouve difficilement le moment de m’arrêter, et encore moins l’interstice pour déployer vers l’autre mon avancement.

C’est heureux, de ne pas voir le bout d’un questionnement. C’est une liberté, une richesse qu’offre l’existence qui m’anime autant qu’elle me perturbe, mais pour ce qui est de l’échange, de cette communication qui serait, j’en suis sûr, bénéfique, c’est un calvaire. Je m’enfonce dans mon calvaire autant que je m’élève vers de nouvelles pistes et de nouveaux possibles. Je parviens mal à dire au lieu de réfléchir ou d’écrire.

Il existe forcément des solutions, mais comme cet éditorial prévu (et presque prêt) pour le premier décembre, n’en finissait pas de muter, j’ai décidé de le scinder en plusieurs parties qui poindront peu à peu durant le mois.
Le fait de produire et d’envisager un éditorial sur une période plutôt qu’à un instant précis constitue déjà une réponse (une première, qui peut-être ne sera jamais renouvelée), à cette tournure que j’ai besoin que ces éditoriaux prennent : plus récurrents, plus divers et mieux en prise avec ma progression.

Changement

Malgré les quelques publications mensuelles seulement qui pointent ici, il y a donc une continuité quotidienne à mon écriture, et il m’apparaît que je devrais la mettre en avant elle aussi. Ma problématique à l’heure actuelle se résume peut-être à ceci : chercher est une chose, aboutir un écrit en est une autre. Il me faut donc envisager un nouveau virage dans mes méthodes de travail et intégrer l’influence de la communication sur mon labeur.

Quelles seraient les solutions pour produire et communiquer en parallèle, si ce n’est en même temps ?

Dévoiler (l’ébauche)

Je pourrais publier mes recherches telles quelles, sans les raccorder ou en donner la cohérence temporelle, mais leur teneur serait ainsi davantage diluée : elles sont déjà pour moi des instants que j’ai du mal à rattraper, elles apparaîtraient certainement absconses et futiles à un tiers. C’est pourquoi je reste convaincu qu’un travail supplémentaire de médiation et de mise en situation s’impose, et c’est ce supplément que je peine à mettre en œuvre. Voilà par où je manque de redéployer ma production, quand l’écriture mêlée à la réflexion est débordée par cette nécessité de communiquer et d’installer des repères.

Il est évident que ces repères destinés au lecteur me deviendraient une aide précieuse au moment de reprendre le fil de la réflexion, des semaines voire des mois plus tard – chose qui m’est justement difficile. Je me disperse, c’est un fait, je le sais et j’ai décidé de l’assumer et de profiter de ce que ça m’offrait de renouvellement. Le problème tient dans ce que ces repères sont un atout pour le moi du futur devenu lecteur extérieur à la réflexion, mais sont un frein pour le moi du présent qui ne veut qu’avancer le plus loin et le plus vite possible.

Quoi qu’il en soit, montrer ces recherches, ces idées, ces germes de réflexion, ces notes ou ces remarques ou ces morceaux de scénario… dans leur état brut, ne conviendrait pas à mon critère premier pour autoriser la publication : que mes textes soient aboutis au moins du point de vue langagier.
D’une certaine manière, ce vivier de propos que je grossis jour après jour ne peut donc que rester privé. D’un côté, je me perds probablement en voulant sprinter dans cette course de fond, de l’autre, ce n’est qu’en continuant sans cesse que je réussirai effectivement à transformer ces ébauches déconnectées en matière logique et agréable à parcourir.

Rêver (un collectif)

Reste que je me sens seul dans ma démarche comme sur internet. C’est un bon point quand je remarque la propension à reproduire qui y règne, mais ça pèse aussi sur ma capacité, ou plutôt mon envie, de production.

Je n’ai pas abandonné l’espoir de trouver non pas seulement des lecteurs, mais des pairs de pensée, d’expression, voire d’écriture.
A même surgi l’idée d’un collectif, qui m’associerait à quelques-uns d’entre eux et grâce auquel le débat serein prendrait une tournure vivante, et surtout interactive. Cette discussion serait permanente et personne ne chercherait à y imposer de point de vue. Ce serait au contraire le travail de ces points de vue, la manœuvre de ces pensées sans cesse probantes mais divergentes, qui nous connecteraient et nous pousseraient à faire et à mieux faire.

Je rêve de pouvoir me lever de mon siège après plusieurs heures de travail solitaire et de concentration intense pour échanger avec d’autres, présents, réels, dont les voix me pénètrent par les oreilles plutôt qu’apparaissent depuis ce fond de moi que je ne sais toujours pas situer. Je n’aurais qu’à me retourner pour profiter, quand je le désirerais, de cet espace ouvert et commun dans lequel fuseraient les notions. Je pourrais me perdre avec eux dans de nouvelles hypothèses, de nouvelles pistes de renouveau, et débuter de les emprunter jusqu’à ce que la fatigue les occulte dans un nouveau sommeil et un nouvel oubli. Mon lit resterait comme il est présentement, juste à côté.

Je parlais de remise à zéro informatique dans la première partie, ces nuits en sont une autre, biologique. Pour le meilleur quand il s’agit de reléguer au rang qu’elles méritent les angoisses et les peurs, et pour le pire quand elles emportent avec l’eau stagnante celles vives d’une réflexion toujours plus féconde.

Magnifique utopie… qui ne m’ancre qu’un peu plus dans la réalité… avec laquelle je dois donc composer !

Nous verrons comment dans la prochaine partie.

Réseau

J’ai donc un beau bordel à gérer. Très bien. J’aimerais pouvoir rencontrer d’autres énergumènes à bordel et même échanger sur cette gestion. Plus compliqué. Raison de plus pour s’armer de patience et d’outils et continuer de chercher.

Pour ce faire, j’arpente. J’arpente, à l’occasion, mais avec détermination, ces centres supposés d’échange, ces collectivités, ces réseaux virtuels de notre époque. Pas tant pour ce qu’ils sont, mais parce qu’ils devraient me permettre d’accéder aux contenus forgés par ceux qui s’y installent, à tort ou à raison. La lumière sera-t-elle au bout du tunnel ?

Piailler

J’évoquais Twitter dans de précédents éditoriaux, d’abord pour annoncer mon implication, plus tard en expliquant avoir abandonné ce dernier bastion pour moi de relationnel numérique. Du début à la fin de cette expérience, j’éprouvais une réticence à m’insérer dans ce traitement mécanique et trop concis de l’information. Ce qui, au vu de la longueur de cet éditorial, n’a finalement rien d’étonnant.

La plupart des personnes, ou des personnalités, qui exploitent ce biais de communication ne le font que pour répercuter des liens vers leur site. Jamais les connexions établies là ne m’ont permis d’échanger avec quelqu’un. Si je dois me casser l’œil sur un langage spécifique et plein de dièses et d’arobases pour seulement trouver et donner des liens et à peine quelques impressions, je préfère me limiter aux flux de syndication qui remplissent très bien cet office.

Divulguer

Je ne vais pas développer ici mon incompatibilité avec les réseaux sociaux numériques, mais je dois admettre une certaine perplexité. Facebook m’apparaît comme un vrac d’informations privées et publiques, personnelles et professionnelles, et montre cet ensemble dans un désordre et une mixité qui me sont désagréables. La compagnie de Zuckerberg, comme celle des autres, ne cherche qu’une chose : développer ce flux constant qui captera l’utilisateur client pour ne le relâcher que le plus tard possible, après l’avoir bien engraissé de messages publicitaires.

Google Plus est tout aussi généraliste, mais d’autant plus froid qu’il essaye d’organiser et de segmenter tout en faisant des ponts aux allures de grands écarts. Une recherche d’exhaustivité qui diffuse un peu trop la raison d’être de la chose, à savoir concurrencer un autre géant, certes, mais surtout récolter encore et toujours plus de données personnelles.

Linked In est aussi vide qu’il est spécialisé quand Youtube, génial outil, me semble peuplé de gremlins et de trolls. C’est un peu le problème du web dans son ensemble, malheureusement.

S’inspirer

C’est dans ce contexte mortifère qu’une amie m’a déclaré qu’il devait bien y avoir des gens de la lettre sur Tumblr. Je ne l’ai pas fait tout de suite, mais j’ai cherché. Et effectivement, il y en a. L’ambiance, là, ne me repousse pas. Au contraire. On sent que le service laisse beaucoup de libertés et chacun en fait bon usage.
Tumblr est autant un réseau social qu’un outil de publication simplifiée, si bien que les utilisateurs essayent d’avoir quelque chose à dire ou à montrer. Outre des collectionneurs, quelques créateurs semblent s’y être faits leur place.

En alliant communauté et publication (et pas simplement partage comme le proposent les précédents services), Tumblr trouve un juste-milieu pertinent. On peut s’y dévoiler, à sa manière, on peut suivre d’autres personnes qui font de même, et l’échange est possible grâce à un système de questions directes ou par la re-publication commentée (qui remplace, si j’ai bien compris, le système de commentaires).

J’ai donc ouvert en ce début de mois un pêle-mêle accessible à l’adresse http://terhemis.tumblr.com : un site compagnon pour terhemis.fr, qui me servira à partager ce que j’aime et mes inspirations sans m’obliger à produire pour cela un écrit abouti, et à me faire connaître. Je ne suis qu’au début de cette nouvelle approche, mais j’ai bon espoir que ce soit plus probant cette fois, sachant que j’aime déjà et simplement consulter les pages des autres utilisateurs…

Dire ici, sur mon propre site

Tout ça, c’est bien beau, et Tumblr fera une bonne porte d’entrée vers terhemis.fr, mais dois-je y réserver ma communication et mes errements ? Probablement pas. Ce pêle-mêle n’est qu’un moyen d’établir le contact et j’ai bien conscience qu'une solution pour accéder à une plus large audience serait de m’insérer dans chaque communauté et de profiter des atouts de chaque service, mais je dois encore me décider à ne le faire que de façon automatique, puisque je ne peux pas être partout en même temps. Cet automatisme me freine et je reste sceptique quant à l’efficacité sur le long terme d’un tel déploiement tous azimuts. J’écrivais d’ailleurs dans mon manifeste avoir tiré un trait sur cette méthode, mais j’avoue l’envisager à nouveau, ou en tout cas, envisager certaines pistes.

Le plus simple pour communiquer reste donc de le faire dans des éditoriaux qui traitent, comme ici, de l’au-delà de la vie du site et touchent à la réflexion. Remaniés pour la nécessité de cette communication sur mon périple, ils pourraient être plus nombreux, et ce ne serait que leur écho que je transmettrais ailleurs…

Je n’ai, jusqu’ici, pas été très précis à propos de ces errements dont je dis vouloir parler. Je tenterai d’être plus spécifique dans la prochaine partie.

Typologie

Mettons qu’ici soit le lieu de ce meta-texte, de ces explications et de cette communication avec d’autres au sujet de l’écriture et de mes recherches. Quelles sont celles qui m’occupent en ce moment ?

L’un des clous que je cherche à enfoncer concerne la classification de ma production.

Format d’écriture ou type d’écriture ?

Il a bien fallu commencer quelque part et j’ai fait tout mon possible pour que ma classification sur terhemis.fr soit pérenne. Je savais cela dit qu’essayer d’estimer par avance tous les types d’écrits qu’il me serait possible de produire ne suffirait pas à me les faire apparaître. De plus, la concision n’a jamais été mon fort. Il est donc logique que ce soit en écrivant – au hasard d’une envie ou peut-être d’un besoin – de courts textes, qui s’avéreraient méritants et publiables en l’état, que je me sois finalement demandé comment les présenter et comment les regrouper.

Puisque j’ai manqué d’envisager cette hypothèse de la micro-édition au moment de concevoir le site [note : le site d’alors], je me suis posé la question devant le fait accompli : devrais-je intégrer ces courtes choses (qui ne sont pourtant pas des ébauches) aux autres types de publication, ou leur taille constitue-t-elle un nouveau type et donc une nouvelle catégorie ?

Ce flottement m’a permis de prendre conscience d’un amalgame que l’édition et la librairie colportent, mais dont j’aimerais personnellement me défaire : le format d’un écrit ne devrait pas justifier son genre (et donc, pour moi, de le mettre dans telle catégorie ou dans telle autre ; encore qu’il faudrait s’entendre sur ce qu’est un genre). Une nouvelle, c’est d’abord un format, même si c’est devenu un genre (ou plutôt un marché ?), mais ça ne peut pas être un type d’écriture, pas plus que ce n’est un ton. Une réflexion peut bien être courte (un article ?) ou longue (un essai ?), une fiction peut bien se suffire de quelques lignes ou s’étaler sur plusieurs tomes. Bref, je dois revenir sur mes critères de distinction et mieux les redéfinir. Le support n’est pas le format, le genre n’est pas le thème, pas plus qu’il n’est le ton, et ainsi de suite.

À partir de là, j’ai distingué 6 formats littéraires. Littéraire au sens de la lettre, qui n’est pas la meilleure unité de mesure du texte, mais reste notre unité indivisible. Et puisqu’un mot ne fait pas encore un texte et que plusieurs mots forment une phrase, il faut bien commencer par elle.

Il y des textes d’une taille
    • de l’ordre de la phrase [contenu]
    • de l’ordre du paragraphe
    • de l’ordre de la page [matériau]
    • de l’ordre du chapitre
    • de l’ordre du tome (ou du livre) [objet]
    • de l’ordre de la saga ou de la série

Ainsi, un texte d’une taille d’environ une phrase pourrait très bien s’intégrer à mes /Observations, à mes /Réflexions ou à mes /Fictions.

Bien sûr, un tome peut ne pas être découpé en chapitres, un chapitre peut n’être composé que d’une seule page, qui elle-même peut ne se lire que d’un seul trait, et même un paragraphe peut ne durer qu’une seule phrase, soit parce qu’elle est longue, soit parce qu’il est court. C’est pour ces raisons que je crois bon de penser en « ordre de » grandeur : si certains critères pour découper le texte en formats sont évidents (le point pour la phrase, le saut de ligne pour le paragraphe) et d’autres plus flous (la taille d’une page, ou d’un tome qui pourrait être scindé en plusieurs), c’est aussi en rapport à d’autres (morceaux de) textes qu’ils apparaissent mieux.

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

Je pourrais ne pas tenir compte de tous ces paramètres et considérer qu’un texte est un texte et que cela suffit. Son unité déprendrait d’un début et d’une fin que j’accorderais. C’est-à-dire que seul le sujet et éventuellement la date de création ou de publication permettraient de naviguer entre eux. Ce serait certes plus simple pour moi, ce serait l’impression au moins d’une liberté, mais je souhaite qu’un visiteur ou qu’un lecteur puisse s’y retrouver sur le site, qu’il soit emmené si possible d’un endroit à l’autre avec une certaine logique et j’ai besoin, pour avancer de mon côté, de trouver la cohérence de mes pulsions et de mes chemins d’écriture.

Ne me reste donc plus qu’à décider de l’appellation à accorder selon ma convenance bien personnelle (et non pas forcément selon ce qui se fait dans le milieu) à certains types de textes dans des formats particuliers. Est-ce qu’un écrit de l’ordre la phrase doit s’appeler « sentence » pour le domaine de l’observation, « maxime » pour celui de la réflexion et « vers » pour celui de la fiction ? Ou serait-ce une absurdité ? Je ne suis pas encore fixé.

Ce que je constate, c’est que l’observation retranscrite en un texte très court n’est pas abjecte et même qu’elle me convient, comme c’est le cas pour la réflexion. Je n’ai, en revanche, pas encore trouvé le rythme ni le ton de la très courte fiction, que j’aurais d’ailleurs encore tendance à estimer « trop » courte, plutôt que « très » courte.

Dans tous les cas, la concision m’appelle. Écrire en quelques mots et en quelques lignes, à l’inverse d’ici, devient un exercice salvateur, un soulagement.

Il reste, vous l’aurez remarqué, bien du travail à faire et des décisions à prendre avant que je ne me sente à l’aise sur ce point. Si j’avais dû attendre, comme j’ai tendance à le faire, d’être sûr de moi avant d’évoquer la chose, vous n’en auriez probablement jamais entendu parler.

Vous n’auriez, possiblement, jamais entendu parler non plus de mes mémos et de leur transcription. Il en sera autrement grâce à la prochaine partie.

Transcription

Un autre de mes chantiers d’écriture se déroule donc à l’oral, et pour ce qui est de son exploitation, je ne suis là encore pas très au point. En fait, je n’ai transformé que deux de mes écrits-à-l’oral en quelque chose d’autre. Il n’en fallait visiblement pas plus pour que je me demande comment et pourquoi.

Des « journaux vocaux », puisque c’est le nom que j’ai donné à mes « mémos », j’en écris – car je considère que c’est un autre type d’écriture, « à la voix » plutôt qu’à la main – depuis 2010. Je m’étais alors enfin décidé à me procurer un dictaphone. Depuis, je n’enregistre plus ces réflexions sur un dictaphone indépendant, mais directement dans mon « classeur de notes » et à l’aide de mon smartphone, mais c’est un autre sujet.

Écrire, ou dire, autrement

Dès le deuxième enregistrement, je cherchais à définir l’intérêt de ces « journaux à l’oral » par rapport à ce que je formulais à l’écrit depuis des années déjà. En voilà (une partie de) la transcription (profitons-en, c’est le sujet) :

« Je viens de réécouter le premier essai de prise vocale pour un (futur) avis cinéphile : c’est extrêmement différent de ce que j’ai l’habitude de faire à l’écrit.
Au lieu du texte définitif qui paraît sur mes différents blogues, qui est le concentré de ce que j’aimerais que les autres retiennent (si jamais ils me lisent), j’obtiens quelque chose de plus spontané. J’enregistre pour moi (même si, du coup, ça me fait envisager de mettre en ligne des commentaires audio) : ce sont, pour le moment, des prises personnelles, qui doivent me servir à me rappeler des choses, et elles privilégient donc la réflexion à la rédaction ou à l’expression.
Au lieu de figer grâce à un médium (écrit ou audio) les conclusions de ma réflexion, m’enregistrer me permet de (re)tracer cette réflexion. C’est plus lent, plus mou (et si j’enregistrais quelque chose à publier, il faudrait que ce soit plus rapide, plus enjoué, mieux construit, sans temps mort…).

Je pense que ces mémos personnels vont beaucoup m’aider, qu’ils sont intéressants dans le cadre de mon « cursus ». C’est-à-dire que quand j’aurai besoin de créer […], avoir ces mémos archivés devrait me permettre de recréer à partir d’émotions que j’ai pu ressentir au moment de les faire ou juste avant. »

Récupérer l’autrement

Tout ça est encore vrai. Le problème qui se pose, c’est que plus j’enregistre de journaux, plus je passerai de temps à les transcrire. Or, le temps passé à la transcription peut être jusqu’à 7 fois plus long que l’enregistrement. Une heure ou deux de réflexion sans contrainte peut donc me demander jusqu’à un jour de travail, voire deux. Est-ce légitime ? Ce temps passé à transcrire quelque chose de daté (périmé même, quand la réflexion est depuis lors dépassée) au lieu de produire, n’est-il pas du temps perdu ?

Cela dépend… Si ce journal ancien est l’occasion de revenir sur une réflexion inachevée et de l’agrémenter, alors j’y gagne. Si, à l’inverse, il s’agit juste de passer un écrit d’un support à un autre pour pouvoir à nouveau naviguer dedans, c’est probablement moins vrai. Car le problème de ces enregistrements, c’est qu’il est impossible d’en connaître le contenu à moins de se déplacer dedans et d’écouter. Un texte se parcourt en diagonale et les outils de recherche savent les pénétrer, mes enregistrements, d’un autre côté, sont comme des images pour ces mêmes outils : de beaux trous noirs, avec, tout de même, un titre.

Le problème, c’est que je me laisse souvent aller : je digresse et même je divague, je mêle toutes sortes d’impressions dans tout un tas de domaines… et je n’en finis pas. C’est aussi tout l’intérêt de cet exercice, avec lequel je peux jouir librement de tout ce qui me passe par la tête, mais de fait, je ne chapitre pas, je ne m’organise pas pour pouvoir facilement remettre les pieds par là.

Apprendre à gérer l’autrement

Qu’en conclure ? Pour le moment, pas grand-chose. J’imagine qu’il y a deux façons de réagir : soit j’altère l’exercice et tente de mieux le maîtriser au risque d’y perdre sur le moment, soit je m’acharne a posteriori pour en tirer tout ce qu’il y a à en tirer et tant pis pour le temps perdu, ou bien (et donc, en fait, ça fait 3…) je laisse ces choses indigestes à leur triste sort jusqu’à ce qu’un archéologue se donne la peine de se les farcir, car ce dont je suis sûr, c’est que je ne peux en aucun cas les publier en l’état. J’ai moi-même du mal à me supporter : je vais trop vite, j’occulte, ou je piétine lamentablement, je me répète, ou je passe du coq à l’âne, je m’attarde sur des sujets qui me semblent n’avoir plus aucune importance… bref, c’est un calvaire.

La solution, une fois de plus (puisque je ne suis toujours pas un gars ultra motivé ou qui arrive véritablement à se forcer), se trouvera dans un peu des trois hypothèses : je transcrirai des journaux et peut-être pas d’autres, parfois sans faire l’effort de rendre la chose agréable à parcourir, parfois en m’y attelant et même en y ajoutant du moi présent.

Quant à ce que vous, cher lecteur, en retirerez…

Du texte, du méta-texte (autrement dit : du texte à propos du texte, ou des publications à propos du site…), différents supports d’écriture, des thèmes par dizaines et même différents lieux de publication… J’ai tenté de simplifier le plus possible avant d’ouvrir ce site, j’ai vraiment voulu tout y rassembler pour ne pas m’épuiser et pourtant, plus j’avance et plus je m’éparpille (ou du moins en ai-je l’impression). C’est pourquoi, en même temps que j’essaye d’être simple, je m’organise. Ce sera le sujet de la prochaine partie.

Organisation

Que ce soit pour relier les recherches par rapport au site entre elles, et ces recherches à celles sur mon écriture, pour faire cohabiter les univers de fictions distinctes et les observations du monde réel, ou pour garder à portée de main les vieux comme les récents enregistrements sur lesquels je sais avoir intérêt à revenir, il me faut organiser, et bien, mes différentes expressions.

J’ai donné précédemment un aperçu de ce qui me préoccupe « en ce moment ». Tout cela a dû apparaître bien étrange. Je suppose même que ces questionnements ne font pas réellement sens pour autrui. « Pourquoi se prendre la tête sur ce contexte alors qu’il suffirait de produire du contenu, du vrai ? ». Je ne suis pas sûr d’avoir de bonne réponse et il est certain que le temps passé à tourner autour du pot n’y ajoute pas d’argile. Je sais par contre que c’est ainsi que je fonctionne, que mon processus implique d’appréhender pour ensuite ou ailleurs manipuler.

Circuler

Ces questionnements présentés, comme d’autres, et tous les écrits plus accessibles, cohabitent donc sur mes feuilles. Pour en manœuvrer la masse, je suis depuis longtemps passé à des feuilles numériques, mais ça n’a pas suffi, et je me sentais encore et toujours perdu.

J’ai tenté différentes approches, logicielles ou d’organisation, jusqu’à ce trimestre, qui a été l’occasion d’une dernière transformation de mes archives en perpétuelle mutation.

Pour le dire le plus simplement possible, je suis en train de passer d’une organisation à l’aide d’un système hiérarchique à une organisation par filtre. Au lieu d’accéder à un contenu situé dans un dossier ou une catégorie, eux-mêmes contenus dans un ou une autre et ainsi de suite, je rassemble ces contenus à l’aide d’étiquettes qui me permettent de trier depuis la masse.

Là où la hiérarchie m’imposait de choisir entre un endroit ou un autre, entre une catégorie plutôt qu’une autre, ce principe des étiquettes me permet de mêler une approche horizontale à celle verticale : d’ajouter des caractéristiques à mes écrits et grâce à elles de traverser les catégories.

Ce qui était une critique cinématographique, c’est-à-dire un sous-type de critique, elle-même un sous-type de l’observation, devient une observation avec des composantes : perspective critique, domaine cinématographique. Ça sonne similaire, mais au lieu d’approcher mon écrit par un unique biais, j’apprends à le faire par plusieurs et lui octroie autant de portes d’accès.

Voir

En plus de mieux circuler entre mes textes, j’obtiens ainsi une vision d’ensemble et préalable à l’ouverture des fichiers. Je n’ai plus seulement un titre et éventuellement la date pour me repérer dans mes écrits déterrés, je peux les aborder grâce à des composantes plus ou moins déterminantes. Je leur attribue par exemple un degré de finition (de l’ébauche au texte fignolé et s’il a été publié ou non), des éléments de contenu (si des images ou de l’audio sont inclus), et même une note allant de 1 à 5. Avec toutes ces étiquettes, je peux aussi mieux quantifier : tel groupe prend trop d’importance, tel autre pas assez. L’idée est de pouvoir se focaliser sur ce qui est à développer et de savoir revenir sur ce qui le mérite plutôt que de rester égaré entre des dizaines de journaux ou d’idées de scénarios.

Pour en arriver là, car ce n’est pas encore complètement fait, je dois relire et traiter l’une après l’autre ces tentatives d’expression et de compréhension des dix dernières années et ajuster au fur et à mesure mes critères de classification.
À l’occasion de ces relectures, j’ai logiquement l’impression que certaines tentatives infructueuses pourraient être supprimées. Pour le moment, je les garde en me disant qu’elles font partie de mon parcours. D’autres essais, à l’inverse, ressortent des limbes pour me rappeler que mon évolution ne va pas forcément qu’en s’améliorant. Elle est d’abord une suite d’échecs et de réussites. Je comprends que tant que j’essaye, je m’offre la possibilité de nouvelles avancées.

Toutes ces impressions sur mon travail, pourtant, ne sont que les miennes. Elles manqueront tôt ou tard d’un recul spécifique que seul l’autre est capable d’apporter. C’est aussi pour cette raison que je dois publier, non pas seulement pour ne pas m’exprimer seul, mais pour profiter du retour de l’autre, de votre retour. Et avant de publier, je dois bien choisir, sélectionner ou améliorer, c’est-à-dire faire ce travail éditorial qui souvent m’exaspère, dans la mesure où il recule la production pure tout en me donnant une raison de plus de l’éviter.

Re-Découvrir

Cette démarche s’avère pourtant cohérente, puisque l’élaboration de ce site qui me permet justement de publier, a constitué un palier dans la maturation de mon organisation. C’est pendant cette élaboration que j’en suis venu à distinguer et établir mes trois champs d’écriture : Regards, Horizons, et Songes [devenus ensuite simplement Réalités et Fictions].

Si l’écriture « personnelle » de l’ordre du journal et celle d’imagination plus spécifique aux fictions sont évidentes pour quiconque, je ne crois pas que celle d’observation le soit. Il est naturel pour les dessinateurs de commencer par le dessin d’observation, moins pour l’écrivain de s’exercer à la description. Or, on s’en aperçoit grâce à l’exemple de la critique cinématographique : lorsqu’on replace cette activité de critique à sa place, c’est bien, d’abord, d’observation dont il s’agit. Ce que j’ai compris en retroussant ces évidences pour me les approprier, c’est qu’il serait absurde d’arrêter ce travail d’observation à la critique des objets culturels.

Nous sommes habitués (ou avons été habitués) à écrire à partir ou à propos d’autres écrits, de films et dans une moindre mesure de musique, et je veux continuer de le faire, mais je veux aussi m’atteler à observer, avant de les analyser davantage et éventuellement de les juger, le monde et l’autre au moins. Observer la ville, le monde animal ou végétal, la personne, les images… Ce travail d’observation est évidemment une clé pour développer celui d’imagination. Il faut observer et comprendre avant d’inventer (ou plutôt, donc, de réinventer), et dire avec des mots simples la richesse et la subtilité de ce qui nous entoure n’est pas chose aisée ou innée (ou en tout cas, ne l’est pas pour moi).

Vous aurez compris, à travers ce décèlement d’un pan tout entier de mon écriture, en quoi cette ré-interprétation constante de tout ce qui m’occupe, y compris la gestion de ma propre production, est légitime et profitable.

Dans la prochaine et dernière partie, j’essaierai de donner plus d’ampleur à ces circonvolutions, de partir de préoccupations personnelles pour aborder des problématiques plus universelles.

Élévation

Les réflexions sur mon activité qui ont précédé m’ont toutes permis d’avancer, mais il est temps de les clore temporairement pour retourner à l’essentiel. À l’occasion, elles ont mené vers des réflexions plus générales qu’il a parfois fallu laisser de côté. Quoi de mieux pour conclure cette série de la fin d’une année, que d’en embrasser quelques-unes pour sortir peu à peu du moi et approcher l’ensemble, le monde, l’humain ?

Tandis que 2014 touche à sa fin, j’ai l’impression que je viens seulement de commencer, que tout vient de recommencer. En fait, c’est vrai, le mois de l’année et le fait qu’elle s’achève n’ont pas grand-chose à voir avec mon développement personnel ou mon développement professionnel.

Activité

J’hésite encore et toujours à associer ces deux notions. Peut-être parce que je n’assume toujours pas l’idée de situer mon écriture dans ce plan professionnel, plus sûrement parce que j’estime, quelle que soit sa qualité ou son ambition, qu’elle concerne au moins autant mon développement personnel que mon développement professionnel. Peut-être que l’erreur que je fais n’est donc pas tant de mal considérer mon écriture, mais cette chose professionnelle.

Il me semble que l’implication en temps comme en énergie que demande l’entretien d’une carrière dans le monde du travail (en l’occurrence salarié, monnayé, de près ou de loin) ne permet pas d’en octroyer suffisamment à la recherche de soi. Je vois bien, pourtant, que beaucoup tirent confiance en soi et estime de soi de leur position professionnelle. S’il s’agit de hiérarchie ou de salaire, cette confiance ou cette supériorité n’ont ni sens ni valeur à mes yeux. Pour ce qui est de l’activité en revanche, du domaine de l’activité, de sa valeur intrinsèque, de son influence éventuellement positive, alors il est évident qu’elle doit nourrir et à plein le moi.

Reste que cette activité m’apparaît plutôt comme un détournement que comme une solution. Je ne nie pas que certains trouvent leur place et le meilleur moyen de se développer humainement au travers de leur profession, mais j’ai du mal à croire et surtout à constater qu’il s’agisse là de la majorité d’entre nous. En revanche, rien ne nous empêche « d’y mettre du sien », de mettre de nous dans notre tâche, quelle qu'elle soit, pour nous exprimer à travers elle, et ce faisant nous forger autant qu’influer sur le monde.

Monnaie

Difficile de déterminer si être et se réfléchir, si se concevoir et s’infléchir, est plus important que d’avoir la bonne place en société, ou même seulement une bonne place. Je préfère suivre cette voie d’une personne plutôt que d’une place, mais ne peux (ni ne veux) l’imposer. Car j’ai moi-même peur de m’égarer, de suivre un chemin absurde, voire malvenu : puisque l’argent permet de survivre, pourquoi chercher à vivre ? Pourquoi se compliquer l’existence avec des problèmes philosophiques vaporeux, quand la matière pèse déjà tant ?

Ce moyen d’échanger qu’est la monnaie a pour lui de simplifier le rapport entre les hommes. Et quoiqu’elle soit mal répartie, on peut toujours en obtenir voire, paraît-il, l’accumuler. Le temps et l’énergie, eux, sont initialement mieux répartis, mais s’épuisent inexorablement. C’est pourquoi ils devraient rester les paramètres les plus importants de notre existence. L’argent et le pouvoir ne sont que des substituts, ne sont que les arguments bien rodés d'une immense supercherie qui oppose en réalité détenteurs et dépossédés.

Troc

Il se dit par chez nous que « tout travail mérite salaire ». Est-ce à dire que tout échange d’une ressource ou d’un service doit se mesurer à hauteur de bourse ? J’ai bien du mal à envisager un autre système que celui dans lequel je vis depuis ma naissance, mais je comprends cette envie qui rode d’un retour au troc.

Ce serait effectivement plus simple si je pouvais échanger au boulanger sa baguette contre mon service, ou contre la denrée que j’aurais moi-même préparée ou fait pousser. Cela permettrait au moins de réincarner l’échange : je ne donnerais plus ma monnaie à une personne qui encaisse, minée par la répétitivité de sa tâche, je discuterais avec un être humain qui m’expliquerait en quoi sa denrée est précieuse. J’apprendrais plutôt que je consommerais, je ferais travailler mes capacités et mes sens humains au lieu de participer au déploiement de la machine.

Surtout, l’équité de l’échange serait décidée par les deux individus concernés (ce qui, certes, pousse à débattre, chose fatigante, et nous sommes feignants) et non par une tierce partie, qui s’accapare pour ce piètre service une part (devenue intolérable) de la richesse de chacun.
On se protège – encore une fois, on vit par la peur – quand on accumule sur un compte ce qui devrait nous permettre de passer l’hiver prochain, mais on se compromet quand on accorde à quelqu’un qui apparaît bien peu concerné et encore moins impliqué, le « soin » de définir la valeur de notre ressource, de notre énergie et de notre temps, et finalement, de notre personne.

Valeur

Cela dit, quelle valeur accorder à ce que je produis, à ces textes, à ces idées peut-être, à ce qui m’anime, et animera possiblement quelqu’un d’autre ? Puisque je ne sais quelle valeur accorder à ma richesse, et donc quelle valeur m’accorder, comment pourrais-je déterminer le prix de tout ça ? Devrais-je considérer le temps que je passe à inscrire, ou privilégier l’effet de mes inscriptions sur autrui, sur celui qui récupère ma production pour lui ? Au final, quel que soit le système de valeur – monnayé ou non – je me retrouve bien démuni.

Dans les faits, je choisis du coup de n’attribuer aucune valeur autre que théorique à ma production. Ce n’est pas pour autant qu’elle n’a aucune valeur financière, mais je détourne la réponse, qui existe je crois : pour ce qui est de la création, c’est à celui qui la perçoit d’en déterminer la valeur ; de fixer le prix selon qu’il a été touché ou non. Autrement dit, l’art n’a pas de valeur, ou de valeur intrinsèque. L’art étant cette nécessité d’agir pour quelque chose d’injustifiable vraiment. On peut essayer autant qu’on veut, et on y parvient presque, mais il faut probablement échouer à le quantifier, ou à le rationaliser une bonne fois pour toutes, pour qu’il signifie encore quelque chose. L’art n’est pas une matière première.

L’artisanat peut être jaugé selon le service rendu. D’ailleurs, la loi de l’offre et de la demande s’applique en ce domaine. Pour ce qui me concerne, et avant de me concevoir artisan, je choisis de « survivre » d’autre chose que ce qui me fait « vivre » et j’y parviens pour le moment dans l’association de deux pratiques : je consomme le moins possible, et je trouve le temps de rendre un service (tout sauf créatif mais) relativement nécessaire (et donc plus facile à interpréter avec la monnaie). C’est peut-être une esquive, limitée, c’est un entre-deux, mais c’est ce qui me convient le mieux pour le moment.

Comment, quand tout s’échange ou se paye, faire valoir la recherche, la quête de sens (ou de réponses) plutôt que d’une valeur ? C’est impossible. Il est des choses, donc, qui se donnent, et qu’on n’a pas réellement le choix d’accepter ou de refuser. Vous pourriez occulter tout ceci, ça nous serait tout de même destiné, à nous tous, à vous comme à moi.

Humain

Pourtant, il est logique et nécessaire qu’on en passe par là, par la monnaie, par cette époque et par ces incohérences sociétales ou sociales ou humaines. Une façon plus positive de considérer la chose mercantile à l’échelle mondiale est qu'elle occasionne sans doute des échanges qui n'auraient pas eu lieu sans elle. On reste piégé par l’arme, empêtré dans notre besoin de conquête, dans ce besoin de toujours plus, que la théorie économique favorise au détriment de nos limites et de celles de notre environnement.

J’espère qu’on dépassera ce stade. J’espère qu’on atteindra la conscience collective et complète qu’envahir, qu’imposer, que dominer est futile au regard du temps qui passe et nous efface, absurde au regard d’une terre seule et qu’il faudra bien apprendre à partager et à protéger aussi bien que ceux qu’on aime. Facile à dire, quand on n’a jamais manqué de rien.

Certes, un sol constamment brûlé ou gelé ne permet pas à l’existence qui s’y meut de vivre comme sur un sol fertile, mais ce qu’il prend en labeur, il le donne en liberté. Et si ne devoir à personne ce qu’on obtient soi-même n’est pas suffisant, alors il faudra intégrer le contexte de l’élaboration de la richesse au moment d’accorder à cette dernière une valeur.

Nous devons apprendre à mieux échanger, quelle que soit notre ressource, notre capacité, notre temps ou notre énergie disponibles. Nous devons obtenir équilibre qui surclasse la somme des accumulations irresponsables et des précarités morbides. Être humain, jusqu’au bout, passera par la nécessité de se voir aussi bien comme un fléau que comme une bénédiction, autant comme un apport que comme un poids, d’embrasser notre potentiel dans son ensemble, d’impacts négatifs et positifs, bref, de trouver notre juste mesure, mais de mesurer enfin.

Bon, je veux parler de tout, mais bien sûr je ne peux pas, ou pas avec la même densité. Ce que j’aime dans des divertissements tels que The Leftovers ou Masters of Sex est pourtant du même ordre que ce qui m’a mené au final de cette réflexion : c’est cet intérêt pour l’humain, pour ce qui nous définie et nous façonne. Alors oui, peut-être est-il finalement légitime de ne pas se contenter d’un seul sujet, d’un seul point de vue, mais de faire appel à l’ensemble de ce qui traverse mon existence, à l’univers tout entier, pour aller fouiller dans ce qui nous caractérise.

Quelles que soient les limites de ce texte, il a pour lui d’essayer la synthèse de ce tout et d’en figer une ébauche supplémentaire. J’aurai avec lui écrit et présenté ces éditoriaux tout au long du mois. Ils feront office de bilan et peuvent aussi être considérés comme un complément au manifeste. Cette série de publications me donnera l’occasion d’engager 2015 avec sérénité. Car je compte bien continuer ce pèlerinage jusqu’au sens, sans pour autant oublier l’autre destination clé, celle du plaisir. Deux ingrédients qui, je l’espère, me permettront de gagner votre curiosité.

Je vous donne donc rendez-vous l’année prochaine, dans quelques jours seulement, une fois la transition faite, et vous souhaite autour d’elle un repos réparateur et d’heureux rassemblements.