J’ai participé à mon premier salon littéraire

Le week-end dernier, j’ai participé à mon premier salon littéraire et artistique. Ce fut une expérience intéressante et agréable. Je tenterai ici et quelques jours plus tard déjà, d’en fixer les informations, impressions et conclusions tirées.

Commençons d’abord par décrire l’événement, auquel j’ai été convié, alors que je n’en connaissais pas l’existence, par le biais d’une connaissance commune. Organisé par une association locale, c’est-à-dire essentiellement par quatre dames bénévoles – que je remercie à nouveau pour leurs efforts plus que conséquents et pour leur bienveillance –, celui-ci se déroulait dans un petit village de ma région. De ce fait, je m’attendais à ce que l’affluence soit modeste. J’avais vu ici ou là des affiches dans ma petite ville – de fort belles affiches, d’ailleurs –, mais une fois arrivé sur place le jour J, j’ai pu me rendre compte que la communication avait probablement dû rester assez discrète : le lieu de l’événement n’était indiqué que par deux cartons jaune fluo, d’un format proche du A4 de mémoire, et même moi, qui m’y rendais, et découvrais les lieux, n’ai pas tout de suite su situer la salle, un peu en retrait. Je ne suis donc pas sûr que l’ensemble des villageois ait été bien informé du fait qu’il se tenait, tout près de chez eux, un événement intéressant. N’ayant pas de compte personnel sur Facebook, qui reste malheureusement l’un des outils de communication les plus utilisés pour une certaine tranche d’âge et une certaine catégorie sociale (autrement dit, « les gens normaux »), je ne sais pas si la communication y a été active ou non.

Le programme était pourtant varié et alléchant : peintres, sculpteurs et écrivains y exposaient donc, mais il se déroulait aussi, tout du long, des performances. Sur scène, avec de la musique, du théâtre, de la danse, et à côté, où avait déménagé un salon de tatouage. J’ai beaucoup apprécié cette diversité. Elle est de mon point de vue la force caractéristique de cette « fête de la littérature et des arts ». Grâce à cela, j’ai pu m’entretenir avec d’autres auteurs, mais aussi avec d’autres créateurs. Il faut dire que nous avons eu le temps, car malgré cette diversité, à laquelle d’ailleurs je contribuais, malgré la bonne facture globale des œuvres présentées et des performances, et malgré l’humanité des organisatrices, des bénévoles et des artistes que j’ai côtoyés avec grand plaisir, les curieux se firent comme attendu relativement rares, surtout le dimanche.

Je n’ai même pas pensé à photographier ma table…
CC BY Terhemis

Pour avoir moi-même organisé nombre d’événements dans un autre village de la région, plus excentré, et même carrément abandonné, je sais la difficulté qu’il y a à faire sortir « les gens » de chez eux, à pousser « les jeunes » à quitter leur écran. C’est un problème de société, lié au fait que chacun est épuisé par le travail de la semaine mais surtout constamment interpellé par les médias de masse et leur publicité. Sur les panneaux dans la rue et les gares, à la radio, à la télé, et sur internet pour ceux qui ne savent pas s’en prémunir. Nous sommes saturés, notre corps collectif est saturé, empoisonné, sous influence. Si j’ai pour ma part depuis longtemps éteint tout ce qui acceptait d’en diffuser et se faisait le relai d’une propagande consumériste intenable, beaucoup, des millions, des dizaines de millions de Français, quasiment tous en fait, l’acceptent et s’en contentent. La publicité est une plaie, une arme au service des dominants et de la guerre, qu’il faut combattre, et qui, pour ce qui concerne plus spécifiquement ce compte rendu, fait notamment passer sous les radars les initiatives locales. L’on se rend pourtant bien compte, que cette plaie impose des vedettes et les remplace aussitôt, pour maintenir la pression. Elle impose son rythme, et maintient la tête sous l’eau les porteurs d’initiatives qui ne peuvent ou ne veulent en passer par elle. Ça devient dramatique quand, dans ce cycle de marchandisation, des talents et des énergies se dissipent, faute de regard, faute de contact, faute d’écho.

Bien sûr, l’on peut considérer que l’art n’est pas vital, et que l’époque est, par l’action d’une minorité, à la récession morale et au repli sur soi, avant la guerre qu’on nous prépare en bulle d’air… Mais c’est bien l’inverse, et dans le relai par les arts de notre créativité et de notre diversité que se jouent la paix et quelque chose comme le bonheur.

Bon, je n’avais pas prévu d’en revenir à ces considérations politiques. Je voulais faire factuel et concis, mais ne sais décidément pas m’y résoudre, ou me résigner.

Une vision de cette bien belle salle, juste à l’ouverture
CC BY Terhemis

Par rapport à tout ça, à cette communication, j’aurais pu contribuer positivement bien davantage. C’est trop tard pour cette fois, mais si l’occasion se présente à nouveau, l’année prochaine peut-être ou pour d’autres événements du même type, je saisirai l’opportunité d’aller au contact des gens en amont, et de m’exprimer pour engendrer si possible un peu d’attente et d’envie – et non de frustration, vous l’aurez compris.

Pour le contexte, il faut savoir que je travaille depuis trois mois à d’autres projets que littéraires. Des projets d’ordre associatif et militants, qui sont en train de se concrétiser très doucement, sous la forme d’un groupe d’utilisateurs de logiciels libres. Beaucoup trop doucement à mon goût, mais l’on me prédisait l’échec, et je suis tenace. Or, depuis mercredi, je suis détenteur du nom de domaine cregull.org, dont je tire une certaine fierté : un .org, même si quiconque peut en louer un, ce n’est pas rien. À mes yeux, ce .org pensé pour les organisations (à but non lucratif), s’oppose au .com des sites pensés pour le profit.

Logo du CréGULL, travail en cours…
CC BY Terhemis

En réalité, cela fait bientôt deux ans que la littérature est passée au second plan… Bientôt deux ans que j’ai mis le pied dans le bénévolat et que je ne souhaite plus en revenir, même s’il est méprisé et exploité par les pouvoirs publics, combattu ou détourné par le capitalisme et, comme je l’expliquais plus haut, largement occulté voire ostracisé par les médias. Depuis deux ans, et malgré des détours par la gestion ou le code informatique, je n’ai cessé d’écrire et de publier, mais ne me suis adonné à ce travail très spécifique de l’écriture d’invention ou de recherche qu’extrêmement rarement. J’essaye de voir ça comme une pause nécessaire, pour ne pas m’épuiser, en attendant que mon réseau s’étoffe et que je puisse, à travers lui, enfin entrer en contact avec des lecteurs. Une pause qui cela dit m’inquiète, car j’ai peur de perdre le fil, de ne pas savoir y revenir… Une pause qui me donne le temps de mûrir et, par diverses expériences, comme celles de ce week-end, de mieux définir mes objectifs, ma tâche, ma particularité, soit la chose qui mérite le plus d’être affinée.

Si la machine avait été correctement huilée, j’aurais donc commencé par annoncer ma participation au préalable, sur ce blog entre autres. Si la littérature m’avait pleinement préoccupé, j’aurais tenté de m’adresser à des lecteurs potentiels, et plus particulièrement aux gens du coin. Je serais allé voir ceux qui pratiquent chaque semaine le jeu de société, mais aussi les artistes et artisans indépendants du centre-ville, tant pour les impliquer que pour qu’ils relaient, etc. J’aurais ainsi pu, au moins pour la forme, inviter inconnus et connaissances à venir se faire dédicacer mon livre, ou simplement à profiter de cette fête.

Peu avant le début des premières performances, le public était présent !
CC BY Terhemis

Sauf que je ne savais pas, au-delà d’un programme dont je n’ai pris connaissance que tardivement, à quoi cela allait ressembler. Maintenant je sais.

Je sais que Confluence mise sur le collectif pour donner de la force à chaque participant, dont elle prend par ailleurs grand soin. Je sais ce que c’est, que de devoir attendre au moins un peu à son stand plutôt que de papillonner et de dialoguer d’art ou du reste, avec les visiteurs comme avec les créateurs, entre les sculptures et les peintures. Je sais que ces « gens normaux » de la région, d’un certain âge bien souvent, ne s’intéressent pas le moins du monde à l’ordinateur ou à la liseuse sur lesquels je présentais les versions numériques de mes travaux, qui sont pourtant les plus difficiles à mettre en œuvre correctement. Que le fait que je fasse moi-même le travail d’un éditeur et de techniciens, du graphisme ou du web, ne les émeut guère, parce qu’ils ne se rendent pas compte de ce que ça représente, surtout pour accéder au degré de finition que je vise, meilleur que celui de petits éditeurs traditionnels ou pseudo-éditeurs. Je sais désormais qu’internet et le monde physique sont vécus comme étanches pour ces gens-là, tandis que, probablement, les plus jeunes qui ont grandi avec un smartphone dans la main ne savent plus communiquer ou trouver leur place dans ce monde physique. Je sais que les enregistrements audio de mes textes, à l’inverse, créent un pont salvateur auprès des quelques curieux pas effrayés par le fantastique ou l’horrifique.

Je sais que la poésie, et a fortiori le polar, se vendent bien plus facilement, parce que le public y est plus habitué, acclimaté presque, alors que j’ai toujours recherché pour ma part l’originalité et la différence. J’ai découvert que les catégories d’âge jouaient : les anciens s’adressant visiblement plus volontiers aux anciens. J’ai pu me rendre bien compte, aussi, qu’il y a des lectrices, mais quasiment aucun lecteur, et que la présentation de mon ouvrage en quatrième de couverture ne convenait pas du tout, ce qui a très certainement joué dans mon échec à le vendre depuis sa parution.

Bref, je m’y suis rendu un peu comme une fleur, déconnecté, sans trop d’attentes, armé de ma patience et de ma curiosité, l’esprit ouvert, bienveillance en bandoulière. J’y ai pris tout ce qu’il y avait à prendre. J’ai fait l’effort d’aller vers autrui en engageant la conversation en pleine lumière, alors que je suis pénétré de labeur solitaire et nocturne. J’ai évoqué, sans grand succès, mes marottes que sont le logiciel libre et la culture libre. Je n’ai pas su mettre en avant correctement, à l’oral, mon livre, notamment parce qu’il appartient, en moi, déjà au passé. Je devrai donc mieux me préparer, mieux me replonger dans mon univers, mieux faire la somme de mes qualités et de celles de mon ouvrage. Et m’équiper enfin de cartes de visite ne serait pas non plus un luxe.

D’un autre côté, je pouvais m’appuyer sur l’objet, sur ce livre de papier, mon premier mais déjà bien abouti, et le présenter sans honte quoiqu’entouré d’auteurs plus aguerris. C’est déjà une belle victoire en soi.

Je ne le montre pas assez, ce bel objet !
L’illustration est de Piro4D

De plus et pour finir, il me reste de bonnes idées pour la suite, pour intéresser le public et l’impliquer dans ma démarche. C’était une première, pour laquelle il me semblait pertinent d’observer et de jauger d’abord. Comme pour le reste, j’y vais tranquillement, trop peut-être, en considérant qu’il s’agit d’une course de fond, dont la ligne d’arrivée est incertaine. Il ne faut pas se tromper pourtant, tout ceci, toute cette vie, et plus encore l’écriture ou les arts, ne doivent avoir pour finalité ou pour vocation que de se parler, que d’échanger.