Le bruit de l’humanité - Metro Manila

Philippines, terre et mer sur lesquelles nos caméras occidentales vont rarement, dont on a une idée vague parfois, composée de cartes postales. Terre d’accueil de Sean Ellis inspiré, qui tient à nous montrer la vie dure telle qu’elle est, sans s’apitoyer.

Ce contexte géographique pas typiquement hollywoodien sert de support à la migration d’une famille, du calme de la campagne au bruit de la cité. Alarmant, le boucan dit « ne venez pas, fuyez ! », mais la famille sera vite installée… et vite expulsée par le loup, celui que peut être l’homme pour son semblable lorsqu’il est prêt à tout pour bouffer. Le fil rouge des mésaventures, dont celle-ci fait partie, pointe du doigt mobile notre humanité. Elle apparaît ambivalente, désespérée mais têtue, lâche mais revêche.

Pour la révéler, l’œil d’Ellis insiste lourdement sur ses personnages, braqués de gros plans et défigurés de véracité. Les vues d’ensemble sont plus rares, comme s’il osait à peine regarder ce monstre de béton métropolitain. De peur peut-être de se reposer dans ses lueurs et d’être englouti lui aussi en son ventre, là ou l’horizon disparaît, là ou la vie côtoie la mort et pousse certains à tuer, d’autres à se sacrifier.

Alors l’escapade filmique prend les contours d’un retour aux sources : avant nos personnalités, plus ou moins différentes, il y a nos natures, plus ou moins clémentes. Il y a ce que nous sommes capables d’endurer et ce qui nous tue autant que la faim. Il s’agit d’avancer, même dans un cercueil motorisé et blindé (le protagoniste devenant transporteur de fonds). Il s’agit de rester, provisoirement (l’espoir est là), à proximité de tous ces autres qui eux non plus n’ont pas assez.

Illuminés par cette projection constellée du talent d’un créateur, on regarde la vie comme elle est et on se demande de quel côté on pencherait : moi, priverais-je pour avoir, ou essaierais-je vraiment de tracer ma route sans heurter, sans blesser ?
Ceux qui probablement n’ont jamais manqué nous assènent leur vérité, leur idéal romantique : il vaudrait mieux crever digne que vivre trompeur, menteur, voleur. Puisque nous sommes programmés pour survivre, ce n’est pas la réponse première de notre matière, mais elle existe et est d’autant plus belle qu’elle est rare. Ce sera celle du père de famille et de son inventeur scénariste.

Jusqu’à ce qu’elle soit prononcée, les corps de Metro Manila avancent et sombrent en même temps, parmi les egos et dans l’anonymat. La spirale est décrite par le protagoniste lorsqu’il arrête de répondre et se dévoile un peu. Il nous dit l’histoire d’un homme acculé qui a rêvé de liberté et s’est écrasé, crevé au sol. Lui voudrait ne pas faire la même erreur, ne pas trop rêver, mais sait devoir quitter la terre âpre pour se réfugier dans le cœur de sa fille. Une transfusion métaphorique qui claque et fait pleurer. Si bien que le film et le voyage s’endurent jusqu’au bout, parce qu’ils finissent par donner du sens, parce que la fin qu’a choisie Ellis est belle, poétique, et dense.