Image à dominante verte, du fait de la végétation dense depuis la gauche. Le rebord d’une ouverture dans un mur sur la droite puis, en bord de cadre, les épais barreaux d’une grille à la peinture qui s’écorne. Au milieu, marchant sur le rebord et vers le fond de l’image, habillée en rouge, la protagoniste haute comme deux feuilles de lierre.

Briser le mur de l’isolement - Arriety, le petit monde des chapardeurs

Séquence d’ouverture citadine, éphémère, aérienne. Une dame au volant, son neveu près d’elle, traversent une ville lumineuse pour s’enfoncer dans une région banlieusarde, plus verdoyante et confinée. Une fois arrivé, il ne faudra que quelques instants à l’enfant pour apercevoir la magie, pour pénétrer un royaume insoupçonné et nous y emmener. Jardin particulier transfiguré en vaste terre hostile où cohabitent faune et flore, insectes et prédateurs, et cette famille de chapardeurs, dont la fille sera l’âme et l’esprit de ce nouveau Ghibli.

Une simple maison, ses soubassements et quelques mètres carrés de jardin, voilà qui suffira à m’émerveiller pendant 90 minutes. Un tour de force que seuls des animateurs singuliers, aussi curieux qu’inspirés, peuvent accomplir. Ceux-là qui transforment chaque décor en illustration incroyable de finesse et d’harmonie, et qui irriguent une vivacité naturelle dans des corps crayonnés. À travers ces dessins qui n’en sont plus se jouent non pas des drames, mais des rencontres et l’aube de destins, des événements à l’importance toute relative, mais qui marqueront au cœur les deux jeunes personnages, et par extension, le spectateur.

Pour ce faire, le triste Sho est notre intermédiaire, tandis qu’Arrietty ouvre grand la porte de l’imaginaire. Grâce à la pureté de cette dernière, on y accède avec sérénité et avec une naïveté retrouvée. Alors que les petits êtres cachés devaient le rester, elle choisira d’aller contre le silence et l’anonymat jusqu’à ce qu’ensemble, nous abattions ce mur de l’isolement. C’est-à-dire qu’à sortir de sa zone de confort, on tombe effectivement sur des caricatures (à la fois représentatives de notre humanité et utiles au scénario…), mais on se rencontre aussi soi-même et parfois, on rencontre de belles personnes.

Souvent, les précédentes œuvres du studio nous faisaient partir à l’aventure dans des contrées imaginaires ou lointaines. Cette fois, c’est l’aventure qui vient à nous et modifie notre perception des choses : on redécouvre, dans le regard de ces personnages hauts de quelques centimètres, les endroits anodins d’une vie normale et, par le biais des échelles, c’est notre espace, notre quotidien, qui se transforme en lieux exotiques et mystérieux, sombres ou chaleureux. On se rend compte alors que l’aventure est en nous. Nous sommes effectivement devant un dessin animé, en ceci qu’il s’adresse à notre âme d’enfant tout en la révélant.

Mais l’espace et le temps sont des notions difficiles à manipuler, y compris dans le cadre d’un film, certes ciselé, mais encore taillé pour l’industrie et la distribution, et la réalisation d’Hiromasa Yonebayashi hésite un peu à la manœuvre. En s’attardant tantôt, en trichant ailleurs, il subtilise, bon gré mal gré, le spectateur. Celui-ci, porté en plus du reste par une musique tranquille et enlevée (qui parfois m’a manquée), devrait s’en accommoder, d’autant que le très bon travail sur le(s) son(s) favorise grandement l’immersion.

C’est ainsi que j’ai plongé fugacement dans un long métrage qui s’est révélé atypique, cherchant son équilibre entre la mélancolie de Sho et l’entrain d’Arrietty, et dont je suis ressorti à la fois paisible et un peu différent. Une goutte d’ailleurs dans l’océan du quotidien, qui pourrait bien le changer… en donnant envie de regarder les choses de façon moins nombriliste, moins humaine, et en nous poussant à considérer davantage notre impact sur la nature en général. Cette lettre d’amour forgée par l’énergie collective de collaborateurs émérites (Miyazaki chapeautant, sûrement un peu en retrait) nous remet à notre place avec un doigté que je ne peux que féliciter. L’on se sent à la fois très grands, et très petits, dans ce petit monde de chapardeurs.