Ulysses, fonctions parfaites, plateforme atroce

Ulysses est un logiciel d’écriture pensé pour la gestion de nombreux et gros projets littéraires à travers une interface épurée, qui me fait de l’œil depuis quelques années déjà. Aujourd’hui, j’ai à nouveau envisagé d’en faire mon outil de travail et, une fois de plus, il m’a fallu admettre que ça ne serait pas possible.

Je ne vais donc pas, dans ce billet, vous parler des probables qualités de ce logiciel, mais plutôt de ses défauts.

Il est en effet intéressant de constater que tout ce qui le concerne est fermé, restreint et payant. Par exemple, les vidéos disponibles sur Youtube sont, au moment où j’écris ceci, rares, datées et peu techniques… mais le deviennent, paraît-il, dans des versions payantes, non incluses dans l’abonnement permettant d’utiliser le logiciel. Surtout, Ulysses n’est disponible et fonctionnel que sur les ordinateurs de cette foutue firme au logo de pomme croquée, qu’à travers un abonnement perpétuel donc, lequel, pour enfoncer le clou, n’est payable que si l’on dispose d’un identifiant et compte Apple ID. Je ne peux ainsi pas le tester depuis un autre système, et me retrouve, quand je me penche sur le sujet, à devoir grappiller et rassembler des informations, notamment dans les annonces de mises à jour et sur leur blog.

Dans cette même logique d’ensemble, son code source n’est évidemment pas ouvert. Ce logiciel n’est ni open source, ni libre. C’est une boîte noire, dont, très probablement, les mises à jour sont forcées, ou inévitables à terme, comme c’est le cas pour les systèmes d’exploitation dont Ulysses dépend, à savoir MacOS, iOS et iPadOS, eux-mêmes parfaitement opaques. Or les mises à jour d’Ulysses introduisent visiblement des problèmes, en privilégiant les versions pour ordinateurs de poche au détriment de celle pour ordinateur de bureau (sur laquelle je travaillerais pour l’essentiel), lesquelles versions se font en quelque sorte concurrence. L’utilisation du service de stockage délocalisé (cloud) d’Apple semble être forcée, du moins en tant qu’outil de synchronisation, ce qui, si les écrits sont renfermés dans un genre de base de données inaccessible à l’utilisateur ou exploitable uniquement par le logiciel (l’interopérabilité n’étant pas non plus la tasse thé de ces gens-là), rendrait la duplication et l’archivage difficile sinon impossible. Je n’aurais aucune emprise sur cet outil, qui deviendrait pourtant mon outil de travail principal.
Je n’ai rien vu, par ailleurs, qui permette de penser que la typographie française (guillemets typographiques et gestion des espaces insécables en particulier) soit correctement gérée.

Tout ça, cet entre-soi, cet élitisme, est frustrant parce que, par bien des aspects et du fait d’un certain nombre de fonctions, je pense que je produirais avec plus d’aisance et surtout de cohérence si je pouvais profiter d’un tel outil.
Les communautés du logiciel libre ont depuis longtemps prouvé qu’elles savaient faire au moins aussi bien que de grands groupes industriels aux moyens colossaux, mais ce secteur de l’écrit pensé pour la publication numérique et web n’a visiblement pas encore fédéré.

Ce n’est pas le prix indécent des machines d’Apple, ou même la taxe à vie pour pouvoir utiliser le logiciel, qui me coûteraient le plus, mais bien de m’infliger une telle prison dorée, de m’enfermer dans un tel ghetto numérique (les riches ont aussi leurs ghettos), avec ses verrous partout, ses restrictions omniprésentes, son intrusive « sécurité ». Ce serait un peu comme de vivre dans « la ville intelligente » qu’on nous annonce, qu’Apple et ses petits copains géants de la Silicon valley, et que ses concurrents d’Asie, rêvent de nous imposer.

Un techno-cocon, confortable peut-être, qui me révulse.

Reste donc à apprendre, à forger sa propre autonomie, y compris sur le plan informatique et logiciel.

Et avant d’être capable de développer mon propre outil, je continue de fouiller et de tester tout un tas d’alternatives plus ou moins libres… dont je vous parlerai sur ce blog.

Crédit photo : Ice prison, par Janos Csongor Kerekes, sous CC BY-ND